Entre attentats, actes de vandalisme et coups du sort, rien n’a été épargné, ces dernières années, à la capitale, estime l’écrivain italien Alessandro Piperno dans une tribune au « Monde ».
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Tribune. Pardon pour la banalité, le sentimentalisme et la coquetterie anachronique, mais il y a une chose qu’il m’est impossible de taire : quand j’ai vu l’incendie de Notre-Dame à la télé, comme plusieurs millions d’autres personnes, j’ai dû me retenir pour ne pas citer à voix haute le vers le plus célèbre de Baudelaire : « Paris change ! Mais rien dans ma mélancolie n’a bougé ! » Certes, ce n’est pas ce genre de changement que Baudelaire avait en tête. Du reste, il faut le préciser, il a manifesté à plusieurs reprises, surtout à la fin de sa vie, une certaine inclination prophétique et même criminelle pour les spectacles apocalyptiques. J’ai pourtant pensé un instant que ce n’était pas un hasard si Baudelaire avait choisi de dédier son émouvant chef-d’œuvre à Victor Hugo, le titan français par antonomase, celui qui a contribué plus que quiconque à créer le mythe romantique de Notre-Dame. Bref, tout se tient, comme on dit.
Ce qu’il y a de beau dans les symboles, c’est qu’ils sont ignifugés
Reste à établir le genre de changement provoqué par cette catastrophe. De prime abord, c’est réconfortant de savoir que cette destruction n’est pas l’acte prémédité d’un terroriste lâche, qu’elle n’a pas fait de victimes et qu’elle s’est acharnée surtout sur les parties de la cathédrale qui n’étaient pas d’origine. J’imagine que cela rendra la reconstruction moins déchirante et qu’une fois le traumatisme surmonté, ce sera l’occasion de restaurer l’orgueil des Parisiens, des Français, et peut-être, qui sait, de tous les citoyens européens de bonne volonté. Ce qu’il y a de beau dans les symboles (et peut-être leur limite), c’est qu’ils sont ignifugés.
Mais retournons aux changements. Que nous dit de nouveau cette cathédrale ancienne mais si contemporaine à sa manière, mythique mais si quotidienne aussi, qui flambe sans raison un beau soir de printemps sous le regard effaré de nombreux Parisiens et tout autant de touristes ?
Une ville prise pour cible
Elle nous dit, au cas où nous ne nous en serions pas aperçus, que pendant ces premières années du millénaire, le sort semble avoir pris pour cible Paris et ses habitants râleurs avec une charge de violence et de destruction impressionnantes : attentats, actes de vandalisme, blocages de la circulation trop semblables à des couvre-feux, pendant les dix dernières années, rien ne lui a été épargné. A ceux qui, comme moi, n’y vivent pas mais s’y rendent assez fréquemment, Paris n’a jamais paru autant sans défense. Et ça, oui, c’est un changement qui brise le cœur.